24.6.13

Une banque nouvelle ?

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Discours de Robert Collignon, tenu le 15 juin à Jumet.


Je vous remercie de m’avoir invité et de prendre le risque de vous entretenir d’un avenir que d’aucuns qualifient de politiquement incorrect. Cependant, combien ne nous ont-ils pas avertis ? Combien n’ont-ils pas dit toute l’impossibilité de ce pays, de ce Peuple, qui n’est pas une Nation, ou cette Nation constituée de deux peuples ?
Ah ! La lettre de Destrée, la phrase de Destrée, cette phrase qui résonne à nos oreilles aujourd’hui encore. « Sire, il n’y a pas de Belges. La Belgique est un État politique artificiellement composé et n’a pas de nationalité… Un paysan campinois et un ouvrier wallon sont deux types distincts de l’humanité… Une communauté d’existence politique ne suffit pas. »
Tout était dit dans cette Lettre adressée au Roi. Tout, presque. D’autres voix s’y joignirent, comme en écho ou comme en symphonie. Un roi, un autre, avant celui de la Lettre, celui qui avait un peu été choisi par élimination, n’avait-il pas déclaré, bien avant Destrée : « La Belgique n’a pas de nationalité et, vu le caractère de ses habitants, ne pourra jamais en avoir »?
Après, d’autres phrases fusèrent, comme en écho, comme en complément à celle de Destrée. C’est Michel de Ghelderode qui déplore son existence « si belgement belge » et qui compare la Belgique à une « fausse-couche de la Diplomatie de 1815 ». C’est Alain Minc qui, en 1993, parle de parthénogenèse à propos de la Belgique. C’est Arno, incarnation de la belgitude ?, qui déclare avec toute la raucité de sa voix enfumée : « La Belgique, ça n’existe pas. Elle n’est qu’un melting-pot, un croisement européen ».
Et malgré tous les constats d’incompatibilité, toutes les mises en garde, on a absolument persisté à vouloir trouver une solution institutionnelle au fait qu’on ne s’aimait pas et qu’on n’a toujours aucune envie de s’aimer. On a voulu maintenir cet État fédéral qui porte si mal son nom. Il n’existe nulle part au monde un État fédéral dont les entités fédérées ne sont pas déterminées sur une base territoriale. Et pourtant, de réforme en réforme, le doute était bien présent quant à l’État qu’on créait.
Ce qui me semble à tout le moins évident : c’est l’État belge qui a créé le peuple flamand, en réaction à un État où il comptait pour rien, ou pour si peu. Et ce peuple se constitue en État, passant d’une humiliation terrible à une frontière linguistique qui aura tout de la frontière d’État. Et ce ne serait rien si cela n’intervenait au moment où la Wallonie est terrassée par l’agonie de son industrie…
Je crois qu’ils ne l’ont pas fait exprès, comme ils n’avaient peut-être pas même lu Hegel et la dialectique du Maître et de l’Esclave.
C’est alors qu’intervient le communautaire. Je n’avance pas le débat communautaire. Il n’y en a jamais eu. Les Wallons voulaient la région, les Flamands la communauté. Nous eûmes donc la communauté. C’était assez prévisible, vu la propension wallonne à pratiquer l’amnésie. Quand en Flandre on avance et on émet ses prétentions autonomistes, en Wallonie, on brandit le spectre de l’aventure institutionnelle.
Même dans le Manifeste « In de Warande », les Wallons n’ont pas voulu voir ce qui s’y étalait ; ce n’était ni plus ni moins que la fin de la Belgique.
Et pourtant, il arrive encore aux Wallons de rire, même si c’est parfois crispé, comme quand on leur propose une Constitution wallonne et qu’ils ne s’expriment plus alors qu’en francophones stigmatisant le repli identitaire.
Quel pied de nez à Fernand Dehousse, à Georges Truffaut, à François Bovesse, à André Cools, à Jacques Yerna, à Guy Spitaels ou à moi-même. Quelle démission devant ces Wallons volontaires alors que nous avons mis un temps infini à n’être que demandeurs de rien.
Alors qu’en Flandre le thème de la séparation est abordé par bien d’autres que les nationalistes et que l’indépendance est loin d’être considérée comme un projet aventureux, du côté francophone, on s’est enfin remis de « Bye Bye Belgium ». Et puis aussi, on maintient le dialogue entre francophones, dans lequel on n’arrête pas de perfuser une institution obsolète qui, appelée Communauté française ou plus étrangement Fédération Wallonie-Bruxelles, n’en finit pas de priver la Wallonie, comme Bruxelles d’ailleurs, de leviers essentiels de leur développement.
Combien de fois, alors que je réclamais la tête de cette institution contre-productive, n’ai-je pas été frappé de l’anathème du soupçon de repli sur soi avec, dans la foulée, la mise à mal de la solidarité avec Bruxelles ? Décidément, il n’y a pas que les Flamands à être communautaristes. Pour preuve, les envies d’Olivier Maingain de faire de l’entité Wallonie-Bruxelles un État.
À grands renforts de méthode Coué, en Wallonie, on arrive enfin à ne pas voir, au moins théoriquement, les avancées de la 6e réforme de l’État comme un châtiment divin, comme la malédiction de Raskar Kapac. L’accord institutionnel prévoit de profondes modifications de la loi de financement des C et R, une autonomie fiscale élargie, une autonomie financière à travers une augmentation significative des recettes propres, le tout agrémenté de mécanismes de transition temporaires et de mécanismes de solidarité.
Wallons, que craignez-vous donc quand on vous dit que le nouveau système améliorera, selon les simulations, le financement de la Wallonie ?
Et puis, il y a le mécanisme de transition. Oui, mais pour l’élasticité de l’impôt des personnes physiques, il en faudra tout de même beaucoup pour maintenir la situation actuelle. Et alors ? Je me réjouis de la position défendue par la FGTB wallonne.    « Région toute ! » : le cri de guerre de Thierry Bodson. Tout ce que la Wallonie fera elle-même, elle le fera mieux. Qu’on aime ou pas cette 6e réforme, on est condamné à la réussir.
Bien sûr, il y a tout de même un léger bémol en ce qui concerne les engagements au niveau de la loi de financement. Les prévisions de croissance aujourd’hui ne sont en effet plus celles de 2011. Comment rester dans les marges budgétaires prévues tout en garantissant le non-appauvrissement des entités fédérées et une amélioration des perspectives financières de la Wallonie ? 10 ans. Voilà ce qui est prévu. Mais quelle est la valeur d’un accord signé dans la Belgique fédérale ? Je suis d’accord avec Marcourt. La Wallonie n’a pas 10 ans.
J’aimerais pouvoir, comme tentèrent de le faire Hollande et Sarkozy lors des dernières présidentielles, ne pas prononcer le nom de l’autre, mais une fois de plus, le détour par la Flandre est obligé pour parler de la Wallonie.
Du côté d’Anvers, on le sait bien qu’on n’aura pas 10 ans. Dans moins d’un an, le processus va connaître une accélération sans précédent.
En gros, une fois encore, nous ne choisirons pas le contexte. Pas si sûr… Désormais, il leur faudra absolument tout : l’indépendance de la Flandre, tout en maintenant (c’est ce qu’ils ont toujours fait) une Belgique sous mainmise flamande. Si les Flamands souhaitent leur indépendance et que 50,1 % la proclament, de quel droit, nous Wallons, pouvons-nous nous y opposer ?
Le 25 mai 2014, dans un peu moins d’un an, le séparatisme flamand aura sa légitimité démocratique. Et tant pis si la conséquence en est un bidule de plus, un confédéralisme qui portera encore plus mal son nom que notre fédéralisme porte le sien.
Bart De Wever présidera le gouvernement flamand et imposera sa volonté. Allons-nous être les derniers, au nom de je ne sais quelle loyauté, à soutenir un système dépassé ?
Quel prix la Wallonie doit-elle payer pour sauver la Belgique ?
Comprenons enfin que nous devons réussir l’autonomie de notre région, d’une Wallonie qui, pour une fois, ne sera plus exploitée par la Flandre.
Et tous les efforts patriotiques déployés par Marc Wilmots, le dernier régent du Royaume, n’y suffiront pas. Dès que les supporters flamands retournent sur leurs terres, ils ne portent plus que deux couleurs, le noir et le jaune ; le rouge reste accroché à la frontière linguistique.
De jeunes intellectuels flamands m’ont un jour confié que la Belgique s’éteindrait d’elle-même le jour où deux conditions seraient réalisées : l’arrivée de Di Rupo au 16 et celle de Philippe au Palais. Une des deux conditions est réalisée.
J’ai toujours, secrètement d’abord, de moins en moins secrètement ensuite, souhaité que ce soit de la minorité insultée que vienne le soubresaut déterminant de l’indépendance.
La Wallonie peut gagner. La Wallonie gagne, en thérapie cellulaire, en composites pour l’avion propre, en logistique.
La Wallonie est reconnue pour son excellence. Nous sommes un district créatif européen. Tout cela, nous le savons. Il n’y a plus qu’à y croire.
Cependant, cette autonomie, cette volonté d’affirmation identitaire ne pourra avoir lieu qu’en
  • oubliant l’adhésion à un pays moribond,
  • proclamant son appartenance à la grande culture française, celle des droits de l’homme,
  • cherchant avec et au sein de la République une union respectant nos particularités, notre passé,
  • nous débarrassant de tout complexe.
Ainsi, la Wallonie, fidèle au congrès de 1945, rejoindra les révolutionnaires de 1792 et connaîtra enfin l’an 1 d’une nouvelle ère.