10.2.08

Les Wallons, coqs ou dindons ?

Article signé Edouard BRION
paru dans La Libre Belgique, mis en ligne le 08/02/2008

Au Sud, on reconnaît désormais la légitimité de la demande flamande de réforme de l'Etat. Mais les Wallons ont-ils fondamentalement changé leur façon de se situer dans cet Etat ?

Prêtre et citoyen

Après cette crise gouvernementale plus longue que d'habitude, chacun y va de ses réflexions. Par exemple, certains reconnaissent maintenant le bien-fondé de la lutte des Flamands de milieu modeste pour faire reconnaître leur langue dans l'Etat belge bourgeois francophone. Une réalité et une histoire que les Wallons ont mis du temps à remarquer.

Le fait d'avoir vécu en Flandre durant une dizaine d'années fait que je m'associe tout à fait à cette façon de voir, mais je pense qu'il faut aller plus loin et mettre en lumière d'autres aspects de cette histoire que mon séjour m'a fait toucher du doigt. Je pense surtout à l'émergence d'une nation flamande et de la construction d'un horizon mental en Flandre faisant du Wallon un "autre" aux yeux des Flamands.

Petit souvenir personnel pour l'illustrer : à Louvain, en 1970, lorsque les étudiants francophones manifestaient contre la loi Vranckx avec, comme slogan, "nous sommes tous des étrangers", mes confrères flamands me disaient : c'est tout à fait juste, ce sont des Wallons. Pour leur part, les francophones, et en particulier les Wallons, persistent à se situer avant tout comme Belges et donc à considérer les Flamands comme des "nous" en tant que Belges. C'est ce qui explique la floraison de drapeaux belges un peu partout en Wallonie et surtout à Bruxelles, du moins dans les beaux quartiers.

Un autre signe de cette différence : dans le baromètre politique publié chaque mois dans "La Libre Belgique", les personnalités politiques francophones sont absentes de la liste flamande, mais l'inverse n'est pas vrai pour la Wallonie et surtout Bruxelles. Un sondage du même type a montré qu'une grande majorité des Flamands trouve inacceptable un Premier ministre francophone, alors que Verhofstadt et d'autres Premiers ministres flamands ont recueilli une popularité certaine en Wallonie et à Bruxelles.

Ce déséquilibre avait déjà été souligné il y a longtemps par le chanoine Jacques Leclercq, professeur à l'UCL, dans sa brochure "Les catholiques et la question wallonne" publiée en 1963 : "Le drame de la Belgique actuelle est que les Flamands forment une communauté homogène qui poursuit ses objectifs centrés sur le bien de la Flandre, et qu'ils ne trouvent pas chez les Wallons un interlocuteur valable, qui serait une communauté wallonne, ayant même densité et même action systématique. La Belgique est comme un char qui n'aurait de roues que d'un côté. Ce char doit verser. S'il existe une communauté comprenant une partie du pays, le bien du reste du pays et le bien de l'ensemble du pays demandent qu'une autre communauté se constitue en face, et que les questions concernant l'ensemble du pays se débattent entre les deux Communautés." (Collection Ecrits politiques wallons, Institut Jules Destrée, 1988, p. 192).

On dira que la mise en place des Communautés et des Régions a réalisé la constitution de cette deuxième Communauté. Je n'en suis pas sûr, dans la mesure où ses membres continuent à se penser et à se voir avant tout comme Belges. On connaît ce vieux slogan oublié depuis longtemps en Flandre, mais toujours en vigueur au "sud du pays" : "Wallon, Flamand" est notre prénom, Belge est notre nom de famille."

Dans ce cas, Wallons et francophones seront toujours les dindons de la farce : ce qui est bon pour les Flamands, qu'ils considéreront comme Belges avant tout (comme ils se voient eux-mêmes), sera vu comme acceptable pour les Wallons. L'inverse n'est pas vrai : pour qu'une chose soit bonne pour eux, il faut que ce soit Flamand, sinon c'est vu comme "étranger" à leur nation, tout au plus acceptable comme concession pour faire passer un compromis qui leur soit globalement avantageux.

Un des résultats de la crise passée a été que Wallons et francophones ont reconnu la légitimité de la demande flamande et qu'il devenait impossible de continuer à refuser une nouvelle phase de la réforme de l'Etat. Mais dans quel cadre mental l'ont-ils fait ? Ont-ils fondamentalement changé leur façon de se situer dans cet Etat ? Je n'en suis pas sûr. L'essentiel ne reste-t-il pas à faire ?

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